Mercredi 18 juin, au Press Club de France, Françoise Dissaux-Doutriaux, ex vice-présidente de Bernard Julhiet Group, fondatrice du cabinet K. Personna, ex psychologue de surcroît et Antoine Tirard, managing partner de NexTalent Consulting, enseignant en gestion des ressources humaines, consultant international et co-auteur de « Révéler vos talents : cartographie des outils psychométriques de développement » ont été les invités du Club des Chasseurs de Têtes. Ils ont partagé la compagnie des membres du club, durant quelques heures, afin de débattre ensemble autour de l’état des lieux des outils et des méthodologies d’évaluation des candidats. Ainsi, parle-t-on de tests ou d’outils d’évaluation ? Facilitent-ils le recrutement ? Quelles interprétations leur donner ? Autant de questions auxquelles Françoise Dissaux-Doutriaux et Antoine Tirard ont apporté divers éléments de réponse.
Qu’appelle-t-on un test ? Quelle est la différence entre un test et un outil d’évaluation ?
« De manière générale, nous utilisons l’expression d’outil d’évaluation pour parler de tests. Toutefois, l’appellation « test psychométrique » est une définition assez fermée et cadrée. C’est un outil construit sur des bases statistiques et standardisées. Il doit être utilisé de la même manière qu’il a été étalonné et échantillonné ». Françoise Dissaux-Doutriaux précise: « loin de moi l’idée de vous dire que certains d’outils d’évaluation, non construits sur des tests, sont mauvais. Ils n’ont simplement pas le label de test psychométrique ».
Les tests peuvent présenter plusieurs intérêts. La fondatrice du cabinet K. Personna les détaille en trois points :
- La priorité est de gérer sa propre subjectivité et celle du consultant.
- Le test permet d’aller plus loin qu’un entretien, durant lequel un recruteur peut se laisser entraîner par la relation dynamique créée avec le candidat ou par la routine de ses propres habitudes. « Il permet de poser des questions auxquelles nous n’aurions pas forcément pensé » ajoute Françoise Dissaux-Doutriaux.
- Bien qu’elle considère le dernier point comme empreint de manipulation, l’ex psychologue mentionne la déontologie. « Vous devez restituer les résultats au candidat, c’est ce que l’on appelle la déontologie. Or, à ce moment-là, il devient plus enclin à s’ouvrir et, en quelque sorte, baisse sa garde. C’est l’un des instants qui m’intéressent le plus lors d’une phase de recrutement».
« Les tests de personnalité sont très utilisés dans le milieu du recrutement »
Antoine Tirard pose les bases concernant les différents types de tests existants. « En restant dans le milieu du recrutement, nous observons deux grands types de test : le test de fonction intellectuelle et d’aptitude, et le test de personnalité et de motivation.
Les tests de fonction (ce que nous appelions auparavant le facteur G, et que l’on n’utilise plus) mesurent la capacité à raisonner. Nous utilisons les termes d’induction et de déduction. Ces tests sont, par exemple, assez peu utilisés pour les cadres qui ont de l’expérience, excepté certaines boites dans lesquelles ils font partie du processus de recrutement. Ils sont plutôt destinés à des candidats ayant fait
des études moyennes. Quant aux tests d’aptitude, il s’agit de tests particuliers pour un profil typiquement recherché, tel qu’un créatif ».
En revanche, les métiers du recrutement semblent avoir souvent recours aux tests de personnalité. Ils sont divisibles en deux grandes catégories : les tests projectifs (par exemple, les tests de Rorschach, basés sur des photos abstraites composées de taches). « Cela fait bien longtemps que cela n’est plus utilisé en entreprise car ces tests sont basés sur la psychanalyse et sur l’inconscient du candidat ». La loi l’interdit et les entreprises ont douté de l’éthique de ce processus, et ne s’en sont plus servis.
La deuxième catégorie, plutôt utilisée par les cabinets de recrutement, est dénommée behavioriste. Elle s’appuie sur ce que dit la personnalité au travers du comportement. Il s’agit de questionnaires, que l’on appelle « inventaires », fondés sur des théories factorielles différentes (comme le big 5).
Et Antoine Tirard de préciser : « d’autres tests existent, davantage issus de typologies, mais que l’on n’utilise pas dans le recrutement ».
Comment crée-t-on un outil crédible ?
Concevoir un test part de l’élaboration d’une théorie. « Il faut concevoir un certain nombre de questions, puis nous réunissons plusieurs experts à qui nous demandons si notre évaluation des critères sélectionnés est appropriée ». Si l’objectif est d’écrire 20 à 25 questions, il faut en imaginer 4 à 5 fois plus que le résultat escompté.
Françoise Dissaux-Doutriaux, pour illustrer ses propos, donne en exemple le critère de combativité. « J’avais proposé la question suivante : à la boulangerie, quelqu’un vous passe devant. Lui dites-vous vertement d’aller à l’arrière ? Ce à quoi les experts ont répondu que cette question jugeait de l’agressivité, et non de la combativité. Le mot « vertement » en est la cause ».
Le poids des mots est très important. Lors de la création d’un test, il est crucial d’être « très au clair sur la sémantique des mots ». Le passage d’une langue à une autre est une adaptation entière. La fidélité (les résultats dans le temps sont-ils à peu près réguliers ?) et la sensibilité (le test doit être dépourvu de discrimination) seront vérifiées. Enfin, le test sera étalonné sur une ou plusieurs populations.
La fondatrice du cabinet K. Personna, une fois ces explications données, avertit l’audience : « lorsque vous choisissez un test, un éditeur doit vous fournir un maximum de renseignements. Ce dont je viens de parler n’est que l’essentiel et s’il ne vous en parle pas, passez votre chemin ».
Comment prépare-t-on un appel d’offres ? Comment trouver le bon parmi, entre autres, les 40 outils recensés ?
Antoine Tirard explique qu’il faut, tout d’abord, « définir ce que vous voulez évaluer, clarifier les facteurs. Selon les populations visées, certains critères seront sélectionnés. Prenons l’exemple des candidats à « haut potentiel » : on parle d’aptitude et de potentiel managérial, car ce sont des personnes qui sont appelées à prendre des positions de leadership. On parle de notions d’agilité d’apprentissage. A quel point va-t-il rapidement s’adapter et performer, en immersion, dans un environnement nouveau ? »
Ensuite, il faut qualifier. « Après avoir resserré, une première fois, la liste potentielle de tests me convenant, lesquels ont ces critères de validité scientifique ? D’autres facteurs vont se compléter : par exemple, s’il s’agit d’un test mondial, est-il en différentes langues ? Quel est le temps de la passation ? Si vous êtes sur une population multiple, il peut être judicieux d’en tenir compte. Quel est le temps de restitution ? L’élément « coût » est également intéressant. Par exemple, il faut savoir qu’il existe plusieurs modes d’achat des tests. Elles peuvent se vendre individuellement, ou par série de plusieurs licences. Les tests peuvent aller de 40 € jusqu’à 300 € la passation. La moyenne est autour de 120-150€, sans parler de restitution.
Une fois cette « short list » effectuée, vous pouvez d’ores et déjà vous rapprocher de potentiels éditeurs et les inviter à vous parler de ce qu’ils font. J’attache une grande importance au fait qu’ils soient en capacité de vous démontrer la validité de leur outil. Demandez-leur, par exemple, de vous fournir des études de cas, des exemples de leurs travaux avec d’autres entreprises ».
Enfin, le dernier point concerne le protocole, ou dispositif de communication. « Il ne faut pas négliger l’impact que cela peut avoir sur l’individu. Il faut être très clair sur qui va pouvoir consulter les résultats. En général, le sujet qui a subi le test doit avoir une totale transparence sur les résultats. D’autres questions, comme celle du droit de regard du n+1, doivent être résolues par avance ». Antoine Tirard se rappelle certains témoignages de personnes ayant passé des tests, dont les résultats leur sont simplement parvenus par mail. « L’absence totale d’explications peut être traumatisante », déplore-t-il. Françoise Dissaux-Doutriaux précise qu’il est important de prendre en compte l’acceptabilité de la personne qui passe le test.
Comment les tests ont-ils évolué dans le temps ? A quoi ressemblent-ils aujourd’hui par rapport à ceux d’avant ?
Le mode de passation et le mode de correction ont bien changé, notamment grâce à l’informatique et à internet. « Cela est bien différent du temps où nous utilisions des grilles… la multiplicité des comptes rendus, dits « narrative reports », a également changé » explique Françoise Dissaux-Doutriaux.
« En revanche, le fond de l’évaluation est globalement le même. Nous continuons à utiliser les mêmes théories qu’auparavant.
Néanmoins, on observe l’apparition d’une nouvelle tendance: il s’agit des « serious games ». On voit apparaître, dans un certain nombre d’entreprises françaises, des mises en situation, par exemple sur internet. Aux Etats-Unis, ils ont beaucoup été mentionnés au dernier congrès de psychologie. C’est le cousin germain de l’assessment, avec l’informatisation en plus » analyse-t-elle.
Antoine Tirard précise qu’ « il y a quand même eu plusieurs phases dans l’histoire de la psychométrie. Les tests étaient beaucoup portés sur les capacités intellectuelles au début. Ils ont ensuite eu tendance à mesurer la personnalité, avec des courants comme Karl Jung ou les behavoristes.
Aujourd’hui, cela suit les tendances sociologiques : quand Daniel Goleman a mentionné l’intelligence émotionnelle, une adaptation s’est effectuée. Aujourd’hui, il existe quelques outils qui mesurent l’intelligence émotionnelle ».
« De plus », poursuit-il, « les dimensions interculturelles interviennent : le monde se globalise, de nouvelles questions apparaissent. Par exemple, quelle mesure un individu peut-il s’adapter ? En terme de technologie, le grand saut en avant a été l’internet avec, notamment, plus de détails dans les rapports de restitution. Nous observons également l’apparition de tests possédant un algorithme qui, à mesure et en fonction de ce que le candidat répond, définit les futures questions ».
Bien que ces méthodes s’apparentent au développement de tests prédictifs, il a été précisé au cours de ce débat que la prédiction était déjà utilisée dans les années 1970. Antoine Tirard conclut « : la valeur ajoutée d’un test est d’augmenter la valeur prédictive. Simplement, on ne peut paramétrer les choses de telle sorte que la réponse sera oui ou non à la fin. L’idée est avant tout de réduire le risque d’un mauvais recrutement ».
Françoise Dissaux-Doutriaux et Antoine Tirard ont été les invités du Club des Chasseurs de Têtes, ce mercredi 18 juin, au Press Club de France.
Elliott Katane

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