Archive – Comment devenir photographe avec Mikaël Theimer


Humans of Montreal


Mikael Theimer fait partie de la branche des photographes humanistes. Il s’évertue à capter des images du quotidien avec un contexte fort. Aujourd’hui, c’est devenu un mode de vie. Il arpente les rues de Montréal, aborde les gens et les prend en photo. Ce qu’il en tire de plus précieux n’est pas nécessairement l’image dans son appareil, mais celle qu’il garde dans sa tête. Le souvenir du moment, lié par un échange humain. Et sur sa page Facebook, Portraits de Montréal, c’est à la fois l’image et le témoignage de nombreuses personnes que nous découvrons.


C’est toujours très difficile d’expliquer aux gens ce que je fais… Moi-même, je ne le sais pas encore. Je suis travailleur autonome. Je photographie la vie sans aide artificielle. Je cherche à documenter ce qui attire mon attention. Lorsque c’est pour gagner ma vie, je réponds aux commandes qu’on me soumet. On me demande de capter les choses telles qu’elles sont. Ce sont deux utilisations différentes mais qui se recoupent parfois. Et de préciser qu’il adore, par exemple, le travail de Steve McCurry mais ce n’est pas sa manière de travailler. Le contexte, c’est précisément là où il frappe fort. « Mes portraits ne sont pas des gros plans visage, réalisés au 85mm f/1.2. Je photographie les gens chez eux. Si c’est un artiste, je vais dans son atelier, afin de scruter les détails des scènes auxquelles je suis présent. J’aime emmener les spectateurs avec moi, dans le moment que j’ai vécu. Quand je prends les photos, je suis totalement immergé. J’imagine que cela se ressent en les regardant.


« Find a job you like and you add five days to every week. » – H. Jackson Brown


Concernant mes contrats, la proportion varie : en ce moment 80 % d’entre eux sont d’ordre personnel, le reste est payant. En ce moment, on me rémunère pour photographier une chaine de production de simulateurs d’avion. J’essaie d’avoir une approche de documentariste. Je ne crée pas de mise en scène, je ne fabrique pas d’images. J’y vais avec mes yeux d’enfants, très curieux. Je livre ce que je vois ; à des fins promotionnelles ou de communication, certes. Mais avec une approche documentariste sincère. Dans le fond, je fais de la « communication honnête ».


Est-ce en photographiant que l’on devient photographe ? S’agit-il d’un titre que l’on s’attribue ? Ou l’obtient-on par une validation externe, comme un diplôme ou la reconnaissance de nos pairs ? La question, au sens large, revient à se demander comment une identité se construit véritablement. Car photographe, au-delà d’être un métier, s’ancre dans la personnalité bien plus qu’on ne le croie. Pour Mikael Theimer, c’est un mode de vie.


« J’ai travaillé 4 ans dans la pub et, quand j’ai démissionné, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire après. Je savais simplement que je ne voulais pas être un petit pion qui faisait rouler la machine. Je me suis donné un an pour trouver le but profond de ma vie », dit-il en riant. S’acheter un appareil photo a été la première chose qu’il a alors faite.
« J’ai considéré la photographie comme un hobby, que je faisais en attendant la suite… La suite, c’est devenu la photo »
Puis, rapidement, est venu le moment de plonger dans le grand inconnu : la quête de soi et l’abandon des chemins tout tracés. La recherche par le nouveau et l’inexploré. Portraits de Montréal est le fruit de toutes ces composantes et a vu le jour le 27 mars 2014, grâce à trois amis (Mikaël Theimer, Thibault Carron,**** *****) respectivement issus des milieux de la publicité, de la finance et de la production.


« Ayant toujours été fan de Humans of New York, le projet de Brandon Stanton, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure avec Portraits de Montréal. Je trouvais cela pertinent de le développer ici, auQuébec, et de faire quelque chose de positif dans cette ville. Je ne savais pas ce que j’allais faire d’autre. Mais je voulais laisser une trace dans le tissu social montréalais ». Coincidence ou non, six mois plus tard, il allait désormais se considérer comme photographe.
Le moment qui m’a fait dire : « ça y est, je suis photographe », je m’en rappelle très bien. C’est mon portfolio. J’en ai même fait un post Facebook, ajoute-t-il, sourire aux lèvres. C’est le déclic. Avant je ne l’assumais pas trop, je me sentais un peu imposteur.
Un sentiment que beaucoup d’apprentis photographes sont susceptibles de partager, tant les voies qui mènent à cet art sont nombreuses et variées. Aucun parcours de photographe ne ressemble à celui d’un autre.
« Le projet m’a énormément changé, sur tous les plans. Sur ma manière d’être, de parler avec quelqu’un, de voir la société. On ne naît pas empathique, on le devient », assure-t-il. Il ajoute : « m’ouvrir aux autres et prendre le temps d’écouter les histoires de parfaits inconnus permet de m’exposer à des réalités qui sont tellement différentes de la mienne et de ce que j’ai connu dans ma vie. Ce sont comme des extra-terrestres qui m’ont ouvert les yeux ».
La méthode, quant à elle, reste d’une étonnante simplicité. Pour Mikael Theimer, « l’appareil photo est le prétexte parfait : il suffit de dire salut, je voudrais prendre une photo de toi. Après, il ne nous reste plus qu’à discuter. C’est une incroyable clé. Cela t’ouvre toutes les portes… Si tu t’y prends bien ».
Il cite alors quelques histoires qu’il a partagées et vécues avec des hommes et des femmes d’horizons très différents.


« J’ai accompagné un homme avec la sclérose en plaques dans les 3 dernières années de sa vie, je l’ai photographié sur son lit de mort. J’ai passé la journée avec des squeegies et des junkies, qui m’acceptent dans leur groupe alors que je viens d’une autre planète pour eux. J’ai passé 2 jours dans un monastère où vivent, recluses, des soeurs qui ont laissé entrer, pour la première fois de leur histoire, une caméra dans leur lieu de vie.
Si tu as un vrai intérêt pour les sujets que tu photographies, il y a peu de portes qui resteront fermées ».


Quelle est la limite qui fait que quand on la dépasse, on devient intrusif ?


Je pense n’avoir jamais été dans cette situation. Je considère ma caméra comme une extension de moi-même. Je l’utilise comme je me comporte. J’ai envie qu’on m’accepte, qu’on m’apprécie là où j’emmène mon appareil et qu’on me laisse photographier.
Il mentionne alors Bruce Gilden, un photographe qu’il apprécie beaucoup mais dont la manière de travailler se situe aux antipodes de la sienne. « Il te saute dans la face avec son flash, je serais incapable de faire ça… Tu seras à l’autre bout de la rue en un clin d’oeil, tu ne sais même pas qui tu as photographié… Ça ne m’intéresse pas ».
Sa manière est plus cordiale. « J’entre dans la bulle des gens pour les photographier… Mais tu ne peux pas le faire comme tu pèterais un ballon avec une aiguille. Je toque plutôt à la porte de la bulle en demandant « bonjour, est-ce que je peux rentrer ? ». Et surtout un vrai intérêt pour la personne. Je veux que la personne ressente ça. Et là, l’échange sera bien plus riche.
De plus je prends une certaine assurance. Comme si c’était naturel d’aller leur parler. Parfois elle est véritable, parfois je la feins. En tous les cas, tu reçois l’énergie que tu envoies. Si tu arrives mal à l’aise, cela sera réciproque. »
La photographie, plus qu’un métier ?
Je considère la photographie comme mon métier, mais c’est bien plus que ça : c’est une manière de vivre ma vie. Je suis tout le temps à l’affût d’une image à capter. C’est ça que j’aime le plus dans la photo : ça te force à être tout le temps éveillé. Je suis tout le temps concentré sur ce que je suis en train de vivre. J’ai toujours été dans le moment présent mais ça me fait profiter beaucoup plus de la vie, ça me fait voir toutes les petites banalités auxquelles on ne prête d’habitude pas attention. Une mère qui embrasse son petit, je vis presque ce moment par procuration ».
Je ne suis jamais vraiment au travail, et je suis jamais vraiment en vacances non plus. Disons que sur les 5 dernières années, il y a une semaine où je n’avais pas mon appareil photo.
Quel conseil auras-tu envie de donner à un photographe humaniste débutant ?
Je reprendrais d’abord celui de Abbas Attar: « achète-toi une bonne paire de chaussures… et tombe amoureux ».
Ensuite, la première chose, c’est d’être intéressé. Développer son approche, son assurance personnelle, établir un lien de confiance : ce sont des clés essentielles. L’appareil photo en est une autre qui ouvre des portes supplémentaires. Oublie que tu as un appareil photo et demande-toi simplement : qu’est-ce que j’aimerais voir ? Qu’est-ce que j’aimerais découvrir aujourd’hui ? ensuite, essaie d’y aller. La technique, selon moi, vient ensuite.


Que ferais-tu si l’on devait t’obliger à faire un autre métier ?


Si je n’avais pas mon appareil, je ferais de la radio, des podcasts. Je me baladerais, je trouverais un moyen de parler aux gens.


Si la photographie était une vocation pour Mikael, l’échange humain reste néanmoins un facteur très important de sa personnalité. En guise de dernier conseil (bienveillant), il souhaite à tous de garder les yeux aussi ouverts que le coeur et l’esprit.